The Camera as Embodied Knowledge
By Rita Ouédraogo
May 2022
LE SAVOIR ET LA CONNAISSANCE PROVENANT DU CORPS
Recently the discussion about (generational) trauma and how the body is a vessel for this trauma has become an important theme within the (visual) arts. Artists and curators have produced works and exhibitions that consider history through an alternative lens to envision different modes of documenting history, remembrance and memory. By doing so, they aim for the possibility of more inclusive histories that tell the stories of the often marginalised.
The Haitian K2D collective (Kolektif 2 Dimansyon) went to Kazal, a rural town in Haiti, to connect with inhabitants who experienced the brutal massacre under the François Duvalier dictatorship in 1969. Duvalier murdered an estimated 30,000 people during his fourteen years regime, from 1957 to 1971, in a bloody campaign against alleged dissidents. His son Jean-Claude Duvalier also oversaw widespread torture and killings when he succeeded his father as ‘President for Life’ the following fifteen years.
Three-quarters of the current population of Haiti were too young to remember the Duvalier dictatorships. For three years, K2D forged connections with the inhabitants of Kazal using different methodologies, not solely talking and listening. Together they narrated and documented memories through the medium of photography. The resulting project explores the ways in which photography can serve as a mode of embodied knowledge, as a means for ‘victim-survivors’ (Régine Michelle Jean-Charles) to break through memories that have been, consciously, forcefully forgotten. They are interrogating how this powerful — yet colonially problematic — medium can function as a way to narrate memories and process trauma. Together the photographers — Edine Célestin, Fabienne Douce, Reginald Louissaint Jr, Mackenson Saint Felix, Moïse Pierre, Georges H. Rouzier — have offered alternative perspectives of a brutal history, hereby envisioning possible futures. They are remembering for those who cannot: a necessary objective, since there are so few survivors of the Kazal massacre as well as the Duvalier regime. The camera here acts as embodied knowledge.
But what does it mean to tell this story in the Dutch context that seemingly has no direct relation to Haiti? If aspiring to engage decolonially means rigorous deep thinking about positionality, then what happens when we, here in the Netherlands, in Amsterdam at Framer Framed exhibit in a white cube space the brutalities that the massacre of François Duvalier caused in 1969? Can we tell this important narrative, as told by the collective K2D from Haiti in Amsterdam? Are we (all) able to ‘listen to the images’ and sit with ‘the Black gaze’, concepts which, Tina Campt [1] asks us to engage with when questions of Black Europe occur? How does K2D, when displaying their Haitian-based photography in Europe, asks us to consider this photographic work as “sites of creativity, refusal, and expression of a persistent hope for more”. [2]
Narrating Haitian Memories
This exhibition showcases six documentary photographers who narrate the memory of the massacre that took place in Kazal, Haiti, in 1969, under the aegis of then dictator François Duvalier, a leader supported by both North American and European economic and political interests. Martinican photographer Daniel Goudrouffe, in speaking about his own adoption of the Magnum process, when questioned about his practice of photography, and what it means to “steal images”. He explains: “J’essaie d’être juste, mais dans quoi? Je suis juste dans ma subjectivité peut-être.” (I try to be fair, but in what? Maybe I am fair in my own subjectivity.) K2D openly acknowledges a certain reference to Magnum’s work, and perhaps Goudrouffe’s words resonate, where K2D literally and figuratively speaking, take the lens, their own gaze, to revisit an event signifying the difficulty of both “remembering and forgetting the Duvaliers.”
Several years after they started the project: KAZAL, Memories of a Massacre under Duvalier: A Photographic Approach, which previously exhibited in Port-au-Prince, Haiti (2019), will now be presented in Framer Framed. The audience encounters K2D as a collective as well as individual photographers whose gaze on an event often-avoided: a crime against humanity. What does it then mean for audiences in Amsterdam — in all of their respective diversities — to engage with K2D’s work? Photography as a medium of narrating memory seems crucial to mediating how we, Dutch based audiences, become aware and responsible for our own modes of consuming art.
Another ‘narrator’ within the exhibition, this time using a different approach, is the Haitian artist Tessa Mars. She employs painting and sculptures to shape, nurture, carry and contextualise the conceptual argument of the show. Tessa Mars, currently in residency at the Rijksakademie in Amsterdam, offers storytelling and image-making as modes of survival. Elements of the mystical, memory and history are themes often visible in her work. Mars explores the transformative strategies for survival, resistance, empowerment and healing. Together the mediums through which Haitian memories are narrated tell a complex story of trauma, survival, togetherness and agency.
LE SAVOIR ET LA CONNAISSANCE PROVENANT DU CORPS
Par Rita Ouédraogo
Mai 2022
Ces derniers temps, le débat sur les traumatismes (générationnels) et sur la façon dont le corps constitue un réceptable pour ces traumatismes s’est affirmé comme un thème important au sein des arts (visuels). Artistes et curateurs ont produit des œuvres et des expositions qui considèrent l’histoire sous un angle alternatif, afin d’imaginer différentes façons de la documenter, différentes formes de souvenirs et de mémoire. Il s’agit ainsi de rendre possibles des Histoires plus inclusives qui racontent les histoires de groupes souvent marginalisés. Le collectif Haïtien K2D (Kolektif 2 Dimansyon) s’est rendu à Kazal, commune rurale au nord de Port-au-Prince, afin de nouer des contacts avec les habitantes qui ont vécu le massacre brutal perpétré sous la dictature de François Duvalier en 1969. On estime que Duvalier a assassiné quelque 30 000 personnes au cours de ses quatorze années de règne, entre 1957 et 1971, dans le cadre d’une campagne sanguinaire contre de prétendus dissidents. Son fils Jean-Claude Duvalier a également supervisé des assassinats et des tortures à grande échelle lorsqu’il a succédé à son père comme « président à vie » pendant les quinze années suivantes.
Les trois quarts de la population actuelle d’Haïti sont trop jeunes pour se souvenir des dictatures des Duvalier. Pendant trois ans, K2D a tissé des relations avec les habitant·es de Kazal en utilisant différentes méthodologies, sans se contenter de parler et d’écouter. Ensemble, ils et elles ont mis en récit et documenté des souvenirs par le biais du médium photographique. Le projet qui en résulte explore les façons dont la photographie peut constituer une forme de savoir incarné, un moyen pour les « victimes-survivant·es » (Régine Michelle Jean-Charles) de percer à jour des souvenirs consciemment et vigoureusement refoulés. Il s’agit d’interroger comment ce médium puissant – et cependant problématique de par sa charge coloniale – peut permettre la mise en récit de la mémoire. Ensemble, les photographes – Edine Célestin, Fabienne Douce, Reginald Louissant Jr., Mackenson Saint Felix, Moïse Pierre, Georges H. Rouzier – proposent des points de vue alternatifs sur une histoire brutale, imaginant de la sorte des futurs possibles. Ils se souviennent pour celles et ceux qui ne peuvent le faire : un objectif nécessaire, dans la mesure où il reste si peu de survivantes du massacre de Kazal comme du régime de Duvalier. L’appareil photo comme une forme de savoir incarné.
Mais qu’est-ce que cela signifie de raconter une histoire à partir d’un contexte qui n’a apparemment aucun rapport direct avec elle, comme Haïti avec les Pays-Bas ? Si aspirer à un engagement décolonial signifie réfléchir en profondeur et avec rigueur à la façon de se situer, que se passe-t-il lorsque nous, ici aux Pays-Bas, à Amsterdam, chez Framer Framed, exposons dans un espace blanc cubique les atrocités commises lors du massacre commandité par François Duvalier en 1969 ? Pouvons-nous raconter à Amsterdam cette histoire marquante, telle qu’elle a été narrée par le collectif Haïtien K2D ? Sommes-nous (toutes) capables d’« écouter les images » et de nous pencher sur le « Black gaze », le regard (ou point de vue) noir, concepts avec lesquels Tina Campt [1] nous invite à dialoguer, lorsqu’émergent les enjeux liés à l’Europe noire ? Comment K2D, en exposant en Europe des photographies prises en Haïti, nous demande-t-il de considérer ces œuvres photographiques comme des « sites de créativité, de refus, et d’expression d’un espoir tenace »[2] ?
Raconter les mémoires de Haïti
Cette exposition présente les travaux de six photographes documentaires qui racontent les souvenirs du massacre perpétré à Kazal, en Haïti, en 1969, sous l’égide du dictateur François Duvalier, un dirigeant soutenu par des intérêts économiques et politiques tant en Amérique du Nord qu’en Europe. Le photographe martiniquais Daniel Goudrouffe, au sujet de sa propre adoption du procédé Magnum et de ce que cela signifie de « voler des images », explique ainsi : « J’essaie d’être juste, mais dans quoi ? Je suis juste dans ma subjectivité peut-être. » K2D reconnaît ouvertement une certaine filiation avec le travail de Magnum, et peut-être les mots de Goudrouffe résonnent-ils lorsque K2D s’empare, au sens propre comme au figuré, de l’objectif, et affirme son propre regard, pour revisiter un événement signifiant la difficulté de tout à la fois « oublier et se souvenir des Duvalier ».
Plusieurs années après le lancement du projet, KAZAL, Mémoires d’un massacre sous Duvalier : une approche photographique, auparavant exposé à Port-au-Prince, en Haïti (2019) ainsi qu’à Bamako, au Mali (2019), va à présent être exposé par Framer Framed. Le public fait la connaissance de K2D en tant que collectif, mais aussi de chacun·e des photographes et de leur regard sur un événement souvent éludé : les crimes contre l’humanité. Qu’est-ce que cela signifie pour le public d’Amsterdam – dans toute sa diversité – de dialoguer avec le travail de K2D ? La photographie, en tant que médium pour que les mémoires puissent se raconter, apparaît comme un médiateur essentiel pour nous permettre à nous, publics des Pays-Bas, d’être sensibilisés et mis face à nos responsabilités quant à nos propres façons de consommer de l’art.
Une autre « narratrice » venue d’Haïti, usant cette fois d’une autre approche, est l’artiste Tessa Mars. Elle utilise la peinture et la sculpture pour forger, nourrir, porter et contextualiser l’argument conceptuel au cœur de l’exposition. Tessa Mars, actuellement en résidence à la Rijksakademie (Académie nationale des beaux-arts) d’Amsterdam, propose le storytelling et la fabrication d’images comme modes de survie. Des éléments mystiques, mais aussi la mémoire et l’histoire sont des thèmes qui apparaissent souvent dans ses œuvres. Mars explore les stratégies de transformation en matière de survie, de résistance, d’empowerment et de guérison. Ensemble, les différents médias par le biais desquels les mémoires d’Haïti sont narrées tissent une histoire complexe de traumatisme, de survie, de vivre-ensemble et d’agentivité.
[1] Tina Campt, connue pour son travail sur l’histoire afro-germanique, titulaire de la chaire Claire Tow et Ann Whitney Olin, professeure d’études africaines et d’études des femmes, du genre et de la sexualité, ancienne directrice du Barnard Center, centre de recherche sur les femmes, et responsable du département d’études africaines, nous invite à dialoguer avec des concepts tels qu’« écouter des images » et le « Black gaze » (« regard (ou « point de vue ») noir »).
[2] https://barnard.edu/news/listening-images
Photography / Caribbean / Conflict / Contested Heritage /